C'était une place avec des arbres, peut-être des platanes, ou bien des tilleuls, je ne sais plus au juste. La statue d'Adolphe Thiers* régnait alors sur une armée de voitures très indisciplinées. Dans les rues tout autour, les embouteillages étaient légendaires, passage obligé sur bien des trajets qui n'étaient pas régis par les sens uniques d'aujourd'hui.
Le Printemps s'appelait encore "Les Réunis". Je les traversais pour aller prendre mon train le vendredi soir à la gare toute proche, non sans y acquérir au passage quelque produit utile ou non : ce magasin était alors la caverne d'Ali Baba où l'on trouvait tout ce que l'on voulait, du clou au poids (clin d'œil à Lydie) jusqu'au cadeau introuvable en ville. Saint Séb' n'existait pas : la concurrence était douce.
En face de l'édifice Corbin (Les Réunis), les rotatives de l'Est Républicain offraient une attraction nocturne remplacée par une autre non moins nocturne : à la Taverne de l'Irlandais, on y danse tous en rang chaque jeudi, au son des violons et des guimbardes, dans un sous-sol qui n'est plus enfumé… J'aime y pousser le lourd tourniquet d'entrée et y avaler une bière pas très celtique ou un médiocre thé en attendant l'heure du ciné. La salle au vieux plancher de bois est meublée d'un superbe comptoir dont les chevaux de laiton qui fixent la main courante me fascinent. Quant aux Deux Hémis', je n'y mets plus les pieds depuis les temps très lointains où ma copine au teint basané se fit refuser une consommation.
De l'autre côté de la place, le ciné Thiers et sa salle unique accueillit maintes fois la bande d'étudiants dont je faisais partie. Ce n'était pas un ciné d'art et d'essai, mais on n'y passait pas que des films "grand public", tel ce film japonais dont aucun de nous n'avait compris quoi que ce soit !
La place a perdu ses arbres et son imbroglio de tacots. L'immeuble Thiers a été rasé. Remplacé par un immeuble où les commerces et services ont retrouvé leur place, édifice objet de polémiques, mal-aimé des nancéens.
Nancy n'avait alors pas encore d'autre tour que le building Joffre qu'on n'aimait déjà pas beaucoup. La cathédrale n'avait jamais été coiffée des dômes prévus, non édifiés pour raisons techniques dues à son sous-sol, aussi la ville manquait un peu de hauteur. En faisant abstraction de l'imbattable Haut du Lièvre, évidemment. La tour de la place Thiers voulut donc grimper très haut.
Tour Thiers, tour Frantel, Park Inn, son nom évolue au gré des changements d'enseigne de son hôtel.
Je vais porter outrage à l'opinion publique en disant que je ne la déteste pas ! Le reflet doré de l'Excel sur sa façade un soir d'automne a échappé à mon objectif, pour une fois que je n'avais pas mon appareil sous la main ! Il y a comme cela des photos qu'on regrette ne pas avoir prises et dont il est difficile de retrouver les conditions : heure, lumière, saison.
Quant à la place Thiers, qu'elle est laide aujourd'hui sans ses arbres, malgré ses fleurs, bien que débarrassée de ses Kebabs et sandwicheries aux odeurs de graillon. Même les tentatives de marché de Noël y ont échoué !
Pourquoi est-ce que c'est souvent mieux "avant" ?
(*Et pourquoi diable Nancy honore t'elle une de ses principales places du nom d'un personnage aussi sanguinaire ? Ce patronage ne porte t'il pas davantage ombrage à la place que le skyscraper ?)
Cette carte postale du début du 20ème siècle montre l'ancien l'immeuble Thiers mais je ne suis assez vieille pour avoir connu la place ainsi !
J'aime beaucoup avec de l'amour vrai dedans cet article. La tours Thiers, qui certes porte un nom (si c'est bien celui-ci...) absolument et définitivement détestable pour moi, je ne l'aime pas et je l'aime à la fois. Comme les défuntes odeurs de graillons, quand il y a une bonne dizaine d'années, avec mes irremplaçables camarades de terminale, qui habitant rue Christian Pfister, qui rue Courbet, qui rue de la République (j'habitais alors moi-même à Tomblaine...) nous nous réunissions chez notre camarade riche du Rond-Point Lepois, pour ne rien faire, boire des bières, regarder des films, rire comme des benêts et parfois monter sur le toit au stupide mais heureux péril de nos vies. Le pâté de maisons était bien sûr dominé par cette foutue tour, qui les nuits de décembre, une bière belge à la main, les tuiles sous les fesses, avait un charme absolu que je n'ai pas souvent retrouvé depuis, à part peut-être en ex-Yougoslavie, le pays le plus lorrains du monde après la Lorraine.
RépondreSupprimerBref, cet article, même si chez moi, dans mes articles, je joue au blasé de la tours Thiers qui n'a peur de rien, m'oblige à te remercier: que de souvenirs émus cela occasionne... j'espère savoir en parler un jour!
(je réalise que je n'ai jamais terminé, dans la précipitation, la phrase sur le graillon... rond Point Lepois, sandwicheries et épiceries vendant de la bière 24/24 place Thiers... on aura vilainement compris pourquoi on s'y pointait souvent...
RépondreSupprimerVu la statue qui y trônait, il n'y a aucune ambiguïté sur le "Thiers" auquel elle était dédiée.
RépondreSupprimerLa statue ayant disparu, on peut imaginer que c'est de la ville du Puy de Dôme dont il s'agit… celle des couteaux, pour trancher définitivement avec la honte ! À moins qu'on ne la rebaptise un jour du nom d'un quelconque maire de Nancy…
(Il n'y a, à ma connaissance, pas d'autre "Thiers".)
Eh bien, il y a quelques années, un petit groupe que d'aucun ministre de l'Intérieur qualifierait de terroriste de nos jours, avait rebaptisé une nuit, pancartes à l'appui, la "place Thiers" en "place de la Commune", bien entendu...
RépondreSupprimerNote que la municipalité n'a pas retenu cette proposition spontanée... ;)